CHAPITRE VIII
La cabine du module a son éclairage rouge d’alerte immédiate.
— Mais bon Dieu ! où est-elle cette base ? hurle Giuse, en donnant un coup de poing sur l’accoudoir de son fauteuil. Ordinateur de bord, toujours rien ?
— Aucune émission, répond la voix sans timbre.
— Et merde à la fin ! On l’a pourtant bien localisé ce message... c’était par là, juste en dessous.
Sur l’écran frontal on distingue une région verdoyante, l’ancienne Camooweal, dans les collines du nord-est des Territoires du Nord.
— Pas possible, ça fait trois jours qu’on fouille cette région... Salvo ?
— Oui ? fait la voix de l’androïde dans les haut-parleurs d’ambiance.
— On se pose tous !
Le module descend très vite et stoppe dans un repli de terrain sous une ligne de crêtes. Dix secondes plus tard, l’amphib est là. Giuse est déjà à terre, suivi de Boost et Siz.
Salvo sort de l’amphib, des cartes en plastex à la main.
— Toi aussi tu trouves qu’il y a quelque chose qui cloche ? demande Giuse en voyant les cartes.
— C’est pour discuter de vive voix que tu nous as fait poser, non ?
Giuse remarque le visage soucieux de Salvo. La même expression se lit sur ceux de Ripou et Belem, qui viennent d’arriver.
— Oui, pas question de parler à la radio, dit Giuse rageusement, ils sont assez malins comme ça, ces gars, sans leur donner de nouvelles informations. Ah ! tu peux croire que je vais concocter des brouilleurs sur tous nos émetteurs de bord quand ce cirque sera fini. Quel bordel. Ecoute... on devrait avoir repéré l’épave, non ? Depuis le temps.
— Sauf si l’émission ne venait pas du module, dit Ripou.
— Oui, c’est notre avis, reprend Salvo. On pense qu’il doit y avoir un truc comme ça... Ce n’est peut-être pas Cal qui lançait cet appel au secours.
— Vous êtes tous d’accord ?
— Belem, Ripou et moi, oui.
Pour Giuse c’est important. Ça fait déjà quelque temps qu’il songe que l’expérience des super-robots, enfin des androïdes comme Cal préfère les appeler, à juste titre, que leur expérience leur donne une capacité de jugement plus rapide et plus précise. Et souvent comparable aux idées de Cal.
À force de vivre des moments difficiles avec lui, à force de l’avoir vu agir, ils ont probablement copié sa mentalité, sa façon de réfléchir. Techniquement ça doit être possible, même si les résultats sont stupéfiants.
— Et les dix ?
— Sans avis, pour l’instant.
Ça confirmerait cette histoire d’expérience qu’ils acquièrent.
— Boost non plus, dit-il.
— Je n’ai pas vos connaissances techniques, dit celui-ci.
— À dire vrai, j’y ai pensé moi aussi, lâche Giuse en se passant la main sur le menton râpeux. Ça voudrait dire qu’on a voulu soit nous éloigner, soit nous attirer par ici.
— Oui, c’est les deux hypothèses plausibles.
— Fais voir tes cartes.
Salvo les étale sur le sol et ils s’assoient autour.
— J’ai pensé aussi à un autre truc, dit Giuse. Finalement, même compte tenu du brouillage, étonnant, je n’ai pas reconnu la voix de Cal ou de Lou. Et notre ordinateur dit que ce n’était pas la fréquence vocale de l’ordinateur de bord de leur module.
— Nous, ce qui nous intrigue, dit Belem, c’est que ce n’est pas le genre de Cal de crier au secours sans précisions. Il aurait dit « amenez-vous » ou « rappliquez », mais « au secours », ça ne va pas avec lui !
Rarement Belem a fait d’aussi longs discours...
— D’un autre côté, le fait qu’on ne trouve pas l’épave du module pourrait indiquer qu’elle a été enlevée, donc que la base est par là, remarque Giuse. Il faut se décider pour une solution et y rester.
Salvo hoche la tête.
— Pour moi ce n’était pas Cal. Donc il est ailleurs, prisonnier.
Belem et Ripou acquiescent.
— Mais on ne sait pas où. Quand il est parti, il se dirigeait vers le sud, pleins gaz.
— On peut ratisser la région sud des grands cercles, propose Salvo. En commençant assez au sud étant donné que plus près on l’aurait déjà trouvé en venant ici.
— Oui... Tout de même, s’ils ont pu émettre un faux message d’ici, c’est qu’ils ont une installation.
— Oui, fait Ripou, c’est certain. Mais peut-être seulement une station de repérage ou quelque chose comme ça. Pas la base, ils ne nous y auraient pas attirés.
— D’accord, mais à partir de cette station on peut peut-être trouver leur base ?
— On en revient au choix, conclut Salvo. La région sud ou cette station par ici ?
— Je demanderais bien à JI de nous envoyer deux autres modules pour nous partager les tâches, murmure Giuse.
— Il faut faire vite, rappelle Belem. Giuse prend sa décision :
— On va dans le sud !
Ils se dirigent tous vers leurs engins, en courant, et les appareils décollent en filant vers le sud, au ras du relief.
Dix minutes plus tard, ils aperçoivent les grands cercles. Giuse bascule son module et file franc sud, tandis que l’amphib suit une route parallèle trente kilomètres plus loin.
Giuse ne quitte pas l’écran des yeux cherchant un vestige quelconque du module de Cal.
Soudain la radio se met à crachoter et on entend une porteuse...
*
Le glisseur ralentit. Aux commandes le pilote désigne du doigt un point sur une carte.
— Voilà l’autre entrée. Vous voyez, elle est au sud-est.
Lou enregistre le point et en calcule déjà les coordonnées.
— Et le point de contrôle ? dit Cal en se penchant.
— Juste là, fait l’autre en montrant deux blocs de rochers plus loin devant. Il faut passer entre eux, ça déclenche un signal. Deux minutes plus tard, le camouflage de l’ascenseur glisse. C’est le temps qu’il faut pour y arriver. Tout est calculé. Cal se tourne vers Lou :
— Tu commences trente, non dix secondes avant d’entrer. Tu termineras le message pendant le début de la descente. Comme ça l’alerte ne sera pas donnée trop tôt. Va te préparer, je te donnerai le top au passage du contrôle.
Lou hoche la tête et se glisse vers le couloir, derrière. Rapidement il branche l’énergie qui alimente le poste émetteur et commence à tendre l’oreille.
Cal ne quitte pas des yeux les blocs de rochers. Cinquante mètres... vingt... quatre.
— Top ! hurle-t-il.
Sa main se porte instinctivement à sa ceinture, vers le désintégrant. Ses muscles sont tendus et lui font mal. Il entend presque le sang battre dans sa tête.
— L’ascenseur...
Le bras tendu le pilote lui montre une surface plane, un carré de trente mètres de côté.
De derrière on entend la voix de Lou qui commence, en loy :
— JI... JI, message urgent. Cal et moi entrons dans la base, coordonnées 639423 Y 459615. Dans trente-six minutes trente secondes les dirigeants feront exploser la Terre...
*
— ... « au niveau 34, porte rouge. Fais ce que tu peux ».
La main de Giuse a déjà mis le module en automatique et ordonné un demi-tour à grande vitesse, avant que le message ne soit terminé. La porteuse est d’ailleurs coupée brusquement comme si un masque avait interrompu l’émission.
De l’autre main Giuse affiche les coordonnées que Lou vient de passer à JI et le module fait un virage brutal sur la gauche, pendant que le ronronnement des anti-grav monte d’un ton.
— Salvo ? Réponds-moi en loy.
— Oui, j’ai entendu !
— On fonce tous, dit Giuse. On prend l’autre entrée, pour attaquer sur deux fronts.
— D’accord.
— Ne faites pas le détail. Cal est en danger et tout peut péter avant qu’on arrive à ce sacré laboratoire.
— On ne va pas l’aider d’abord ?
— Non... Le plus urgent est le labo. Il faut s’en emparer et le tenir.
— D’accord, on y foncera.
— N’oublie pas non plus que Lou n’a plus d’émetteur... et aussi qu’ils ont un pilote avec eux qui semble passé de notre côté. Au besoin aidez-le.
— Compris... On arrive, je fais sauter le camouflage de l’ascenseur au désintégrant lourd, on vient de repérer le plateau. On se laissera tomber dans le puits avec nos anti-grav personnels.
— O.K. !
Giuse repère, devant, l’éclair et le nuage de fumée et de sable de l’impact du tir. Il se retourne vers Boost et commence, en anglais :
— Tu restes dans le module.
— Pourquoi ? proteste Boost. Je dois faire ma part.
— Tu ne saurais pas te battre au désintégrant, tu n’as aucun entraînement... et ici tu serviras de relais avec JI. On peut avoir besoin de quelque chose.
Boost fait la grimace mais acquiesce.
— JI, reprend Giuse, tu approches en survitesse. On devra peut-être embarquer rapidement.
— Reçu, fait la voix de l’ordinateur. Je suis en route.
Le module freine en approchant du sol. À peine est-il stoppé que Siz ouvre la porte et saute à terre Giuse le suit en dégainant son désintégrant. De l’autre main, il anime son harnais anti-grav.
Le bord du puits. Salvo et les autres sont au fond. Des éclairs montrent qu’ils sont déjà dans la bagarre Giuse saute sans hésiter, Siz à ses côtés.
*
L’ascenseur s’arrête. Cal a fait sortir tout le monde du glisseur. Ils sont allongés sur le plateau de l’ascenseur pour éviter un tir croisé de laser sur l’engin.
Mais rien de semblable ne se produit. Il y a bien trois gardes, en combinaison rouge, en bas dans la grande caverne de stockage des véhicules, mais ils ne semblent pas belliqueux. En tout cas ils n’ont pas d’armes dans les mains.
En apercevant les trois silhouettes à plat ventre, ils ont l’air stupéfaits... et puis une sirène se met à ululer, et une voix sort de haut-parleurs invisibles :
— Alerte générale, la base est attaquée, alerte générale, chacun doit...
Cal n’entend pas la suite. Le pilote s’est levé un bras tendu, criant aux trois hommes :
— Attendez, ne tirez pas, ce ne sont pas...
Il n’a pas le temps de poursuivre, là-bas un garde attrape son laser et l’amène à la hanche. Cal pivote sur les hanches et presse les boutons de son désintégrant.
Une légère odeur d’ozone... Les trois hommes ont disparu. De même qu’un pan de mur, derrière eux.
— En avant ! gronde Cal en se relevant. Toi, tu restes derrière nous, ajoute-t-il à l’intention du pilote qui est immobile, les yeux fixés sur l’endroit où se trouvaient les trois hommes tout à l’heure.
Lou est en tête. Il court vers la porte de gauche dont le pilote a parlé plus tôt, dans le glisseur. Elle donne sur le couloir de l’ascenseur des premiers niveaux. Il n’y a aucun ascenseur qui descende directement aux niveaux inférieurs, ce qui ralentit encore l’attaque.
— Combien de temps ? dit Cal en franchissant la porte et sautant sur le côté.
— Trente-cinq minutes quarante-trois, répond Lou, en embuscade au coin d’un couloir, deux mètres plus loin.
Rien ne bouge. Cal se tourne vers le pilote :
— À ce stade, tu penses qu’on peut encore prendre un ascenseur ? Ils ne sont pas encore bloqués ?
— Ils sont inutilisables au bout de deux minutes, dit le gars, très pâle.
Cal fait signe à Lou de foncer et se lance à son tour en attrapant la main du pilote pour l’obliger à suivre.
La cabine. Lou l’appelle déjà. La porte ne s’ouvre qu’au bout de vingt secondes...
— Allons-y quand même, se décide Cal en s’engouffrant dans la cabine.
Il appuie sur le dernier bouton et le sol se dérobe sous leurs pieds. La cabine descend !
Au passage il compte les niveaux. Huit... dix... Au onzième la lumière s’interrompt brusquement. Dans la même seconde Lou a allumé son projecteur frontal intérieur.
— Est-ce qu’ils peuvent nous repérer ? demande Cal au pilote.
— Je... je crois que oui.
— Lou, il faut sortir de là rapidement, attaque le plancher !
L’androïde penche la tête.
— Placez-vous sur le côté.
Le pilote et Cal se mettent chacun dans un angle et Lou tire. Un trou de un mètre cinquante de diamètre apparaît dans le plancher. Il se baisse pour éclairer le puits, plus bas.
— Il y a une porte juste en dessous. Je l’ouvre... Cal sourit malgré lui en entendant les mots. Drôle de façon « d’ouvrir » ! À peine Lou a-t-il tiré qu’une clarté inonde le puits. Et presque tout de suite des traits lumineux traversent l’air. Des jets de laser ! On les attend...
— J’y vais, décide Lou.
— Fais gaffe, dit Cal, sans toi on est fichu.
Lou hoche la tête, s’assied au bord du trou dans le plancher et se laisse glisser, soutenu par son anti-grav incorporé. Silencieusement il vient se coller à la paroi, au bord de la porte désintégrée, s’immobilise un instant... et plonge dans le couloir.
Des cris... Le chuintement des lasers... et le silence. Cal sent son cœur battre plus vite. Il tend son désintégrant vers le rectangle de lumière...
— Ça va, fait la voix de Lou, vous pouvez venir. Les poumons de Cal se vident d’un seul coup.
— Viens attraper le gars, dit-il. Toi, donne-moi la main et laisse-toi glisser.
Le pilote lui saisit le poignet et se laisse pendre dans le puits où Lou vient le saisir pour l’amener à l’abri. Puis Cal branche son harnais anti-grav et saute à son tour.
Le couloir est vide. Deux trous, dans une paroi montrent que Lou a tiré à tout va.
— Par où, maintenant ? lance Cal au pilote.
Le type est toujours pâle. Il est manifestement choqué par la violence des combats. Des combats où les armes sont tellement différentes de ce qu’il connaît qu’il est dépassé. Mais s’il reprenait son contrôle, il abandonnerait peut-être ? C’est pourquoi Cal ne lui laisse pas de répit.
— Il... il faut suivre ce couloir, finit-il par répondre.
Lou s’élance au petit trot et les autres le suivent.
— Attendez, il y a une grande salle là, fait le pilote en montrant du doigt une porte fermée. Elle donne sur un escalier qu’on peut prendre.
Cal ralentit. La porte n’a rien de redoutable. Pourtant il se méfie instinctivement. Il cherche le regard de Lou qui vient s’adosser au mur, de l’autre côté.
— Laisse-moi faire, dit Cal en réglant le faisceau de son désintégrant pour filtrer le rayon.
Il vise la poignée et tire, balayant de haut en bas. Tout le système de fermeture disparaît, laissant un grand trou.
Pas de réaction, de l’autre côté.
— Combien de temps ?
— Trente minutes dix-huit secondes, répond Lou. Le temps file et ils n’ont pas encore beaucoup progressé. Une sirène se fait entendre dans la base.
— Qu’est-ce que c’est ? s’inquiète Cal.
— Un avertissement pour les groupes d’intervention. Ils doivent contacter le PC central par téléphone pour recevoir de nouveaux ordres. C’est pour éviter que des consignes données par radio soient interceptées. Une sécurité, quoi.
— Des nouveaux ordres, mais pour quoi faire ? murmure Cal en réfléchissant.
Une manœuvre pour les prendre à revers ? Le groupe qu’a détruit Lou plus tôt n’a sûrement pas eu le temps de rendre compte de ce qui lui arrivait. Est-ce que les dirigeants peuvent les surveiller ?
Il jette un œil autour de lui sans apercevoir d’objectifs de caméras. Bon, il faut se décider, le temps passe terriblement vite...
Il se baisse et regarde par le trou de la porte. C’est une grande salle, en effet, éclairée comme le reste. On dirait un stade. Il y a une piste tout autour, et des obstacles, comme pour des courses de steeple. Rien ne bouge, pas le moindre signe de vie.
— Allons-y, fait-il en se redressant pour pousser la porte.
Pas de réaction. Il avance prudemment dans la grande salle, notant l’herbe synthétique sur le sol. Des projecteurs placés au sommet des murs, tout autour de la piste, donnent un niveau de lumière excellent. Rien ne reste dans l’ombre, au sol.
Lou et le pilote se sont écartés sur la gauche. Cal arrive à une barrière de bois, épaisse de cinq centimètres et stoppe, mal à l’aise. Il regarde de tout côté. Il y a quelque chose, il sent quelque chose...
Là-bas les deux autres approchent d’une sorte de fosse de sable. Sans savoir pourquoi. Cal hurle soudain :
— Plongez...
Et il se jette au sol derrière la barrière. Tout de suite l’atmosphère est zébrée de traits lumineux. On les tire de partout ! Frénétiquement il roule sur lui-même pour venir se blottir à la base de la barrière.
Mais il comprend aussitôt l’inutilité de son geste en voyant la barrière fendue brusquement d’un coup de laser. Elle ne le protège en rien !
Et derrière, Lou et le pilote sont complètement bloqués. C’est un tir ininterrompu contre les bords du trou qui les empêche de relever la tête...
Eux au moins ne risquent rien dans l’immédiat. Mais Cal va se faire cueillir d’une seconde à l’autre...
*
— Belem, avance jusqu’à la porte suivante, émet silencieusement Salvo en comprenant le geste que vient de lui faire Giuse accroupi derrière une sorte de caisse métallique dans un hangar de stockage.
Pas un bruit dans le hangar. Les dix sont éparpillés sur la droite et le groupe de Salvo entoure Giuse. Quelque part devant, un important détachement de gardes est en position dans des caches, astucieusement installées dans les parois. Ils tirent par de petits trous, tout de suite refermés. Et surtout ils tirent tous ensemble, ce qui gêne terriblement la localisation.
Belem se redresse brusquement et plonge comme une flèche en utilisant son harnais anti-grav, jusqu’à une porte à glissière entrouverte. De partout des jets de laser grésillent, mais Belem s’est camouflé.
Basept et Bahuit, qui font équipe comme tous les membres du groupe des dix, par paire, ripostent et un fracas retentit au fond. Des blocs de rochers se sont écroulés faisant apparaître une cache.
On dirait... oui un couloir y accède et Giuse comprend comment les gardes font pour être si mobiles. En fait les parois du fond sont truffées de couloirs aboutissant à des postes de tir, absolument invisibles de l’extérieur.
— Salvo, appelle-t-il doucement, dis à Badix de faire tirer au ras du sol, à gauche de l’impact dans le mur. On va essayer de les débusquer.
De plusieurs endroits les désintégrants se mettent en action et on aperçoit la continuité du couloir révélé par l’impact précédent. Un garde se met à hurler. Il n’a plus de jambe à partir des genoux !
L’un des dix le fait disparaître d’une rafale précise. Giuse se passe la main devant les yeux. Quelle sale bataille...
Maintenant les androïdes ont compris le système et balaient au ras du sol en réduisant le faisceau des désintégrants pour faire apparaître les postes de tir, sans tout démolir. Pas la peine de faire écrouler la paroi.
Les gardes ne ripostent plus. Giuse a l’impression qu’ils ont quitté les lieux s’apercevant que leur piège est éventé et ne voulant pas se faire éliminer tous pour rien.
— Ripou, murmure Giuse, avance sur la gauche rapidement. Essaie d’aller jusqu’à l’un de ces trous, en longeant le mur, pour vérifier qu’ils sont bien partis.
L’androïde démarre en courant. Pas de tir. Quand il arrive au fond il s’enfonce dans un poste de tir et en ressort très vite. Salvo transmet son message radio à Giuse.
— C’est vide.
Giuse se redresse et fait un geste du bras en avant. Tous les androïdes foncent.
Effectivement il n’y a plus personne. Giuse se tourne vers Salvo.
— J’ai bien envie de les suivre. Le couloir doit bien aboutir quelque part...
— On ne risque pas de perdre du temps, demande Salvo ?
— Peut-être, mais c’est l’envers du décor, ce truc. Je suppose qu’ils n’y ont pas installé de piège, et qu’on peut accéder aux niveaux inférieurs. Allez, on risque le coup ! Deux androïdes des dix, Batrois et Baquatre, se glissent les premiers dans le couloir sombre, suivis de Giuse, Salvo et les autres. Ils avancent pendant cent bons mètres avant de tomber sur un embranchement.
Un couloir a l’air de remonter tandis que l’autre branche poursuit tout droit, au même niveau. Résolument Giuse fait signe de continuer.
Cette fois ils n’ont pas fait cinquante mètres qu’une explosion retentit, derrière eux. Le souffle est si violent que Giuse est projeté à terre, se tenant les oreilles.
Il n’entend plus rien, hormis un bourdonnement et les coups de gong de son sang, dans la tête. Péniblement il commence à se relever, aidé par Siz. Il se rend compte que Salvo lui parle, et réalise curieusement qu’il n’y a plus de lumière !
Les androïdes allument leur projecteur frontal et ressemblent à un groupe de mineurs, au fond d’un puits...
Impossible d’entendre ce que dit Salvo ! Giuse montre ses oreilles et fait signe qu’elles ne fonctionnent plus. Salvo approche et les examine. Pas de sang, ce n’est probablement qu’une surdité momentanée.
Giuse se fouille à la recherche de quoi écrire. Rien. Siz a compris son problème et lui prend la main pour attirer son attention. Il lui fait comprendre que le couloir est bouché derrière eux et qu’il s’interrompt, devant...
Le Terrien avance et découvre la paroi rocheuse. La douleur a l’air de diminuer, dans sa tête, et son esprit est plus clair. Il fait signe à Siz de tirer dans le rocher. Il se demande s’il n’y a pas une autre salle derrière, plus loin.
Siz hoche la tête et tend le doigt à l’horizontale, commençant à faire disparaître la roche sur un cercle de trente centimètres de diamètre. De temps à autre, il se penche pour éclairer ce conduit.
Au bout d’une minute Giuse lui fait signe de s’interrompre pour le laisser regarder. Le conduit fait facilement deux cents mètres de long et rien n’apparaît au bout... Pas la peine d’insister. Il se retourne et montre le tas de gravats derrière.
Deux silhouettes s’en approchent et commencent à tirer. Vingt secondes plus tard la lumière revient, le tas de débris a disparu... L’un des dix se glisse dans le passage et plonge au sol.
Des grésillements que Giuse n’entend pas mais qu’il devine en voyant des silhouettes se précipiter au secours de l’androïde. À son tour il avance. Mais tout est fini quand il débouche du conduit.
Siz lui explique par gestes que cinq hommes étaient occupés à faire un branchement avec des fils sortant d’une cavité dans le mur. Un système détonnant... On voulait les faire sauter !
Tout est prévu ici... et ils perdent un temps considérable. Oui, c’est ça... Voilà pourquoi les occupants de la base ont prévu tous ces pièges. Pour gagner du temps et tout faire sauter ! Il faut accélérer la progression.
Il se tourne du côté de Siz et lui pose la question par signes :
« Combien de temps encore ? »
*
— Vingt-trois minutes quatre secondes, crie Lou à a question de Cal.
Neuf minutes qu’ils sont bloqués dans cette salle de sports ! Cal a trouvé le moyen de se mettre à l’abri en creusant un trou sous lui, au désintégrant. Les lasers passent maintenant au-dessus de sa tête.
Neuf minutes de perdues... Et pas moyen de bouger. Cal se retourne dans son trou, vibrant de fureur. C’est trop con de s’avouer vaincu comme ça ! Ses yeux parcourent rapidement ce qu’il peut voir de la salle, remontant jusqu’aux sources de lum... Voilà l’idée !
— Lou, appelle-t-il, poursuivant en loy. Peux-tu faire disparaître les rampes lumineuses ?
— Je ne vois pas celle du coin gauche, au-dessus de la porte qu’on a franchie, répond l’autre.
— D’accord, je m’en charge. On va tirer ensemble, au signal. Et dès que tout est noir, tu fonces. Il s’agit de désintégrer les tireurs. Tu pourras ? Dans le noir ils sont impuissants...
— Attends un instant que je les localise tous. Une minute s’écoule encore et Lou annonce :
— Ça y est, je les ai.
— Attention, dit Cal en ajustant la rampe dont il s’est chargé... Top !
Ses doigts pressent les boutons, et ce coin devient sombre. Trois secondes plus tard la salle entière est dans le noir. Lou se relève d’un bond et court tout en désintégrant les postes de tir qu’il a repérés.
Son système de vision nocturne fonctionne parfaitement et il voit les gardes se dévoiler en bougeant. C’est un vrai tir au stand.
— C’est fini, lance-t-il dans l’obscurité je les ai tous eus.
Tout en parlant, il se déplace pour le cas où il y aurait un survivant. Mais rien ne vient. Alors il va vers le trou de Cal et l’aide à sortir, sans allumer son projecteur. Puis il retourne au sien, chercher le pilote qui ne dit pas un mot.
— Combien de temps ?
— Vingt minutes cinquante secondes.
— Il faut aller plus vite... on est foutu si on ne trouve pas un moyen de descendre rapidement. Guide-nous vers une sortie, dit Cal au pilote qu’il devine, à côté.
— Il y a une porte au fond sur la droite, finit par dire le gars d’une voix mal assurée. Elle donne sur une suite de logements qui devraient être vides. De là on peut passer dans un escalier sur cinq niveaux.
Lou prend une main de chaque Terrien et démarre, pressant le pas... La porte. Il l’ouvre doucement. Personne. Là il y a encore de la lumière, et les deux hommes sont un instant aveuglés.
— Prends la tête, fait Cal en montrant une autre porte à Lou. Descends tout ce qui se présente, on est très en retard.
Le grand super-robot hoche la tête et s’avance, la main tendue, les doigts prêts à lancer un jet désintégrant. À chaque porte il stoppe une fraction de seconde. Juste assez pour écouter, examiner le panneau et ouvrir à la volée.
Il pénètre dans chaque pièce presque accroupi pour déjouer un tir.
C’est dans la dernière que ça se passe. Il passe la porte et se redresse, s’effaçant pour laisser entrer Cal et le pilote.
Au moment où il fait un pas de côté, un chuintement retentit, le bruit de la batterie d’un laser qui alimente rapidement l’engin !
Cal enregistre la chute de Lou pendant que son bras se lève tout seul à l’horizontale et que ses jambes fléchissent dans une position de tireur. Sa main gauche vient tenir son poignet et il balaie la silhouette qui s’est dévoilée, là à trois mètres... Son réflexe n’a pas duré plus de 30/100e.
Il ne reste sur le sol que le laser lâché par le type. Cal tourne les yeux qui tombent sur une jambe...
Il met plusieurs secondes à comprendre que Lou a été touché par le laser ! Sa jambe droite, coupée net. est à deux bons mètres de son corps. Et son pied gauche pend, sectionné aux quatre cinquièmes.
— Lou ! Mon Dieu, Lou...
Le visage de l’androïde est sans expression. Les yeux ne cillent pas, inertes.
Cal ne se rend même pas compte que sans Lou c’est fichu. Aucune chance d’arriver au niveau trente-quatre dans les limites pour stopper le processus d’explosion. Il ne sait même plus combien il reste de temps...
Une immense détresse dans les yeux, il prend la main de Lou dans la sienne...
*
Basix et Bacinq marchent en tête dans le couloir étroit dont le sol monte. Tout le groupe est revenu à l’embranchement pour emprunter l’autre couloir. Giuse marche au milieu de la colonne, retrouvant doucement l’usage de ses oreilles. Maintenant il entend un bourdonnement continu.
La colonne s’arrête. Ils sont arrivés devant une épaisse porte métallique. Giuse vient en tête et n’hésite pas. Trop long à expliquer ce qu’il faut faire par gestes. Il lève son désintégrant et vise la porte, qui disparaît !
Bacinq se précipite de l’autre côté, suivi de son équipier Basix. Rien. Toute la colonne passe et débouche sur une passerelle qui domine de trente mètres une immense grotte. Un hall de montage mécanique.
Giuse vient à la rambarde et désigne le bas du doigt. Tout de suite Salvo et Ripou sautent dans le vide, freinant leur chute avec leur système anti-grav.
Le hall a l’air vide. Les autres sautent à leur tour, entourant Giuse une main sur la commande de son anti-grav, à la ceinture.
Le sol. Les dix se sont dispersés sur un ordre de Salvo et explorent rapidement le hall. C’est Batrois qui découvre le monte-charge. Tout le monde arrive près de lui.
Une large porte, les boutons de commande à gauche. Giuse baisse les yeux pour se concentrer, puis fait signe aux autres de s’écarter. Il découpe un grand trou dans les panneaux.
— ... de sauter ?
Giuse porte la main à son oreille droite.
— Ça y est, dit-il, j’entends à nouveau ! Dis encore quelque chose, Salvo.
— Je te... faudrait peut-être sauter.
Le son n’est pas continu mais ça a l’air de s’arranger rapidement. La douleur à l’oreille interne est toujours là, mais c’est supportable. Il se penche dans le puits noir et n’en voit pas le fond.
— Allez, on saute, dit-il. Si la cabine monte on y découpe un passage. Il ne faut pas l’arrêter. Pas la peine de donner l’alerte en montrant où nous sommes.
— Comp..., dit Salvo, en hochant la tête pour confirmer.
Les uns derrière les autres, tous sautent dans le vide, se dirigeant à l’anti-grav. Siz a allumé son projecteur frontal et éclaire la paroi. Giuse lit au passage des numéros. Ceux des niveaux.
— Combien de temps ? demande-t-il à Siz.
— Quatorze minutes vingt-neuf.
29, 30, 31. Les numéros des niveaux défilent. On approche du fond.
33. Les super-robots androïdes prennent pied au fond du puits sans avoir rencontré la cabine. Giuse garde les yeux sur ce numéro, 33.
— Lou a bien dit 34, non ? demande-t-il à Siz.
— Oui, 34.
— Pas possible... On est au fond et c’est le 33...
Et puis il comprend. Evidemment le monte-charge ne descend pas au 34. Ça doit être le niveau du PC, et il est isolé, par sécurité. Les moyens d’accès doivent être sérieusement gardés, et peu nombreux !
— Et merde ! tiens, dit le Terrien en balançant un chapelet de jurons. Comment trouver le passage dans ce foutoir ?
Il se rend compte qu’il a entièrement retrouvé l’audition mais ne s’y arrête pas. Pas le temps ! Il faut trouver cette sacrée porte rouge, mais comment ?
— Combien de temps ?
— Neuf minutes vingt-huit.
— Salvo, que les dix se séparent en équipe de deux, les numéros pairs en leader, comme d’habitude, et qu’ils cherchent un passage qui aboutit au-dessous. Ripou et Belem aussi. Toi, reste avec Siz et moi. Mais d’abord on sort d’ici. Fais sauter la porte de ce niveau.
Ils débouchent dans un couloir qui part sur la droite. Apparemment le monte-charge est un cul-de-sac. Ici aussi tout est éclairé.
Les dix démarrent en courant silencieusement. Giuse reste encore un instant à réfléchir, cherchant un moyen que son cerveau ne lui donne pas. Il a un geste vague de la main et part à son tour.
Des portes, des pièces, toutes vides. Aucune indication d’un passage. Et les minutes passent...
Giuse s’arrête.
— Combien de temps ?
— Trois minutes cinquante-huit.
*
Lou a bougé les yeux. Ses traits s’animent. Debout, le pilote a l’air paniqué. Comment un homme peut être encore vivant avec une blessure pareille ! Il n’a pas même remarqué que les membres ont peu saigné. La réserve de liquide rouge, simulant le sang, est épuisée...
— Ça va, dit Lou d’une voix normale, mais en loy. J’ai fait le nécessaire. Les derniers circuits sont utilisés. Il ne faudrait pas que je sois endommagé à nouveau je ne pourrais plus réparer !
— Mais pour te déplacer ? demande Cal, encore choqué.
— Anti-grav, c’est tout. Veux-tu me passer ma jambe, je dois la récupérer pour la réparation au labo.
Cal secoue la tête. Un cauchemar.
— Combien de temps ?
— Trois minutes dix-neuf.
— Tu vois bien que...
Il s’interrompt, pivotant vers le pilote.
— ... Où est-on, ici ? Tu connais exactement cette partie de la base.
— Oui, bien sûr !
— Qu’est-ce qu’il y a en dessous ?
— Des salles, des ensembles de logements...
— Et le labo, le PC, par rapport à nous, où se trouvent-ils ?
— Un peu à gauche... en dessous.
Cal revient à Lou lui tendant sa jambe, sans tenir compte du haut-le-corps du pilote.
— Lou, on se fait notre ascenseur ! Tu désintègres les niveaux au fur et à mesure. Ça peut marcher ?
— Oui... oui, ça ira.
— Toi, fait Cal en s’adressant au pilote, montre-nous la perpendiculaire du labo. Et ensuite reste là. pas le temps de s’occuper de toi. Garde le laser et ne bouge pas d’ici. Allez, fonce !
Lou se redresse sans mettre un membre par terre, et flotte au-dessus du sol avec son anti-grav. Cal pousse le pilote dans le dos sans ménagement et il part derrière.
— Voilà, c’est à peu près ici, fait le gars, deux pièces plus loin.
Cal ne se donne pas la peine de répondre. Pas le temps. Il fait signe à Lou d’y aller. Le grand androïde tend le doigt sous lui et le sol disparaît, laissant apparaître le niveau inférieur. Puis il se laisse tomber dans le trou, suivi de Cal.
Pas le temps de voir s’il y a du monde à ce niveau. Lou continue sa chute s’ouvrant un passage en tirant sans arrêt, vers le bas.
Cal a le temps de penser que cette descente est complètement dingue. Maintenant Lou a trouvé le bon rythme et ils traversent les niveaux à toute vitesse. Presque à celle d’une chute libre !
— Combien de temps ? hurle-t-il.
La voix de Lou lui parvient, affaiblie :
— Une minute quarante-trois.
Impossible de savoir à quel niveau ils se trouvent. Et une pensée lui traverse l’esprit. Ils vont continuer, après le dernier niveau, désintégrant le sol, en dessous !
— Lou, crie-t-il désespérément, compte les niveaux !
— On arrive ! Ralentis, Cal...
La main du Terrien relève rapidement la réglette de la boucle du harnais de l’anti-grav. Et il sent les courroies lui entrer dans l’entrejambe tellement il a freiné rapidement.
Dessous, Lou a obliqué sur le côté et Cal prend pied en vacillant. Un couloir...
Des portes de chaque côté...
— Là, crie Lou, elle est rouge !
La tête de Cal pivote. Il aperçoit la porte, là-bas, une lumière jaune clignote au-dessus.
Il ne prend pas la peine de courir. Instinctivement ses doigts ont manœuvré la boucle du harnais et il file à l’horizontale.
La porte... Sans hésiter il tend son désintégrant écrasant les boutons.
Il sent une onde de chaleur lui arriver au visage. La porte devait être dans un alliage dense...
Un trou... il passe, débouchant dans un labo assez vaste... Deux types se retournent ébahis... Près d’eux une console supportant deux grands interrupteurs. Un jaune un bleu...
L’un des types se jette sur le côté. Cal a le temps de reconnaître le copain de Poivre et sel avant de tirer. Le gars disparaît en une fraction de seconde...
L’autre n’a pas le temps d’achever le geste qu’il ébauchait aussi, Lou l’a fauché !
Où est le système ? Comment l’arrêter ? La panique... Pas d’autre solution... Cal lève son arme et tire vers la console qui s’escamote. Y a-t-il une autre mécanique ? Pas possible de savoir.
— Lou, hurle-t-il, couche-toi !
Et il balaie la salle d’un tir continu en pivotant sur lui-même. À la hauteur de son arme tout disparaît !
Au moment où il va baisser le bras il enregistre un mouvement dans son dos. Il se laisse tomber sur les genoux en donnant un coup de reins, pour tourner sur lui-même.
Il va presser les boutons quand Lou arrive comme une fusée et dévie son bras vers le bas...
— Arrête... c’est Salvo ! dit-il en montrant la silhouette qui se tient debout sous un trou dans le plafond...
Et Lou laisse tomber d’une voix plus calme :
— Fin de compte à rebours !... Top.
Cal reste figé, le cœur cognant à faire mal...
Les occupants ne font pas un geste...
Une minute... deux... trois.
La voix de Giuse arrive du plafond, par le trou :
— Je crois que c’est gagné.
Cal baisse la tête. Il a l’impression que son cerveau s’est vidé d’un seul coup...